L’Armée des Morts (Zack Snyder, 2003) [remake]

Titre Original : Dawn Of The Dead
Réalisateur : Zack Snyder
Origine : États-Unis
Année de production : 2003
Durée : 1h45
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Interdiction : Interdit aux moins de 16 ans
Interprètes : Sarah Polley, Ving Rhames, Jake Weber, Mekhi Phifer

Ana se réveille un beau matin et se retrouve en plein cauchemar : les morts sont mystérieusement sortis de leur sommeil éternel et attaquent les vivants. Après avoir miraculeusement échappé au carnage qui sévissait dans son quartier, Ana rencontre d’autres rescapés : André et sa femme Luda qui est enceinte, Kenneth, un officier de police, et Michael, vendeur de télés de son état. Ils décident de s’unir et de rejoindre le centre commercial le plus proche pour s’y réfugier quelques temps. Ils vont alors devoir faire face à une horde de zombies assoiffés de sang et de plus en plus nombreux tout en s’efforçant de cohabiter…

En 2003, le célèbre publicitaire américain Zack Snyder (300 ; Watchmen ; Le Royaume de Ga’Hoole) s’essaye au cinéma pour la toute première fois et livre un remake des plus réussis du chef-d’œuvre Dawn Of The Dead (Zombie) réalisé en 1978 par George A. Romero. Avec ce film, Snyder contribue à relancer la popularité jusqu’à présent en berne du créateur du zombie mangeur de chair, qui d’ailleurs en profitera pour sortir un an plus tard le quatrième volet de sa saga des morts-vivants, Land Of The Dead. Tout en conservant la trame principale de l’œuvre originale dont il s’inspire, ce remake réussit à se réapproprier le script original de Dawn Of The Dead de manière très personnelle, pour produire un film qui au final n’a plus grand-chose à voir avec son prédécesseur. En plus du fait d’avoir totalement rejeté le folklore zombiesque établi plus de trente ans auparavant par Night Of The Living Dead, l’on peut également observer que la dimension pamphlétaire qui faisait toute la puissance de frappe de l’œuvre de Romero est ici complètement éclipsée, Snyder préférant l’action pure et dure à la critique sociopolitique. Je précise que cet article traite de la version director’s cut, plus longue mais aussi légèrement plus gore que la version cinéma, et dont le principal atout consiste à avoir fourni davantage de détails sur les personnages et leurs vécus respectifs.

Tout commence avec une séquence d’introduction hallucinante qui frappe très fort, l’accent étant mis sur l’état de panique qui secoue un petit quartier américain soudainement mis à feu et à sang et qu’Ana (Sarah Polley, Mister Nobody ; Splice), qui a vu son mari mourir et ressusciter sous ses yeux, tente de fuir malgré les obstacles qui se dressent sur sa route. Fourmillant de détails d’une indéniable efficacité, cette séquence apocalyptique annonce que le film tout entier s’efforcera de véhiculer une terreur brute et instinctuelle qui, en prenant ses racines dans un quotidien admis comme étant sécurisé et contrôlé par notre inconscient collectif, explosera l’ensemble de nos défenses psychiques pour produire un choc audiovisuel dont même les plus blindés d’entre nous ne pourront réchapper. Suivant cette même idée directrice, le générique du début bénéficie d’un montage particulièrement nerveux qui accumule les scènes d’informations télévisées sur un fond de musique country qui agissent comme une sorte d’ellipse visant à faire comprendre au spectateur que la situation a déjà dégénéré et que, tout comme dans le Dawn Of The Dead original, les autorités américaines demeurent impuissantes pour enrayer ce phénomène de contamination collective qui prend de plus en plus d’ampleur. Le contraste généré par cette curieuse association d’images violentes à une musique cool et décontractée, ainsi que les plans semi-subliminaux de visages de zombies sanguinolents et toutes dents sorties, en plus de produire une atmosphère ironique et légèrement mélancolique, opère un processus de distanciation qui nous maintient confortablement dans notre position spectatorielle. En effet, nous sommes sur le point d’assister à l’élaboration d’une histoire, celle de cinq rescapés qui vont tenter le tout pour le tout pour survivre à cet Enfer…

Anoblis d’une superbe photographie qui privilégie les tons froids (bleu, vert, etc.) pour retranscrire l’ambiance désertique et impersonnelle du centre commercial infesté de zombies accros au shopping, les décors de Dawn Of The Dead s’avèreront être le théâtre de scènes glauques et malsaines somme toute assez dérangeantes et sublimées par un montage très esthétisant. Par exemple, la scène du monstrueux accouchement de Luda dans un magasin pour bébé rempli de peluches et de jouets assure un impact considérable sur nos convictions de ce que sont la famille et l’acte de donner la vie… Le film comporte ainsi de nombreuses scènes purement horrifiques (la vieille femme dégueulasse qui décède de ses blessures puis se relève, plus vorace que jamais ; le père contaminé et voué à attendre la mort ; le tragique épisode du voisin armurier Andy ; etc.) qui maintiennent la cohésion de l’ambiance oppressante et la sensation de menace imminente instaurées dès la séquence d’introduction. Mais Dawn Of The Dead sait aussi faire preuve d’humour pour nous permettre de relâcher un peu la pression, notamment en mettant en scène les personnages principaux qui s’amusent à tirer sur des zombies choisis parmi la foule agglutinée devant les portes du centre commercial en fonction de leur ressemblance toute relative avec des personnalités connues.

Les scènes d’action sont quant à elles très bien réalisées en dépit du fait que le film ait maintenant quelques années ; les effets spéciaux restent tout à fait corrects pour l’époque et sont loin de lésiner sur le gore, sans pour autant atteindre le niveau extrême de l’original… Giclées de cervelles, gorges arrachées, crânes transpercés, yeux perforés, le film ne nous épargne rien et fait fi de la suggestion au profit d’un véritable déballage de scènes trash toutes visuellement très bien rendues. Le maquillage des morts-vivants est lui aussi très convainquant et esthétiquement très réussi ; certains d’entre eux sont vraiment impressionnants (le manchot asiatique du début, ou encore le décharné qui fait face à André derrière l’une des vitres blindées du centre commercial, etc.). On regrettera néanmoins qu’ils soient capables de courir (et la rigor mortis alors ?!), caractéristique légèrement incohérente compte tenu de leur état de cadavres ambulants mais qui ne dessert cependant en rien le récit et l’action du film. Les hurlements de bêtes sauvages qu’émettent les zombies lorsqu’ils attaquent sont eux aussi quelque peu ridicules et illogiques (pourquoi diable les humains changeraient-ils de voix une fois morts ?!), mais bon, tout ceci fait partie des choix stylistiques du réalisateur, tout comme le processus de contamination quasi-instantanée par morsure, d’ailleurs (les morts-vivants de Romero ne le devenaient qu’une fois décédés de leurs blessures, ici ce phénomène s’opère dès lors qu’ils sont mordus). En revanche, les yeux blancs et la gestuelle saccadée des morts-vivants de Snyder constituent une très bonne initiative au mythe zombiesque, surtout lorsqu’il nous en est donné à voir des « ratés », dont le cerveau ne se serait pas complètement réactivé, et qui se contentent d’être secoués de spasmes incontrôlables (dans la VO, ils sont d’ailleurs appelés des « spasmo »).

Côté narration, le rythme reste très soutenu, en grosse partie grâce à la vigueur extrême du montage ; de ce fait, le film ne souffre d’aucune longueur et bénéficie d’une excellente mise en scène renforcée par une interprétation crédible de la part des acteurs. On notera également les caméos fort réjouissants de Tom Savini, qui n’est désormais plus à présenter, dans le rôle d’un flic à lunettes noires et grosses moustaches qui déclare le plus sérieusement du monde qu’« il faut leur tirer dans la tête… » ; et de Ken Foree en télévangéliste qui donne son opinion légèrement intégriste sur l’apparition des morts-vivants et qui en profite d’ailleurs pour ressortir sa phrase-culte du Dawn Of The Dead original: « Quand il n’y a plus de place en Enfer, les morts reviennent sur la Terre… ». Cette petite attention de Snyder pour faire plaisir aux fans a de fait pour conséquence de nous rendre un peu plus tolérants vis-à-vis de lui pour ses zombies coureurs de fond…

Dawn Of The Dead est donc un excellent film de zombie qui, en plus de remettre sur le devant de la scène le chef-d’œuvre de 1978, nous offre une relecture personnelle et divertissante du mythe légendaire instauré par Romero avec sa saga des morts-vivants. Grâce à l’originalité de son scénario et à l’efficacité de sa mise en scène produite dans les règles de l’art du cinéma horrifique, Dawn Of The Dead s’érige comme l’un des meilleurs films de zombie des années 2000.

FleshEater – Revenge Of The Living Dead (S. William Hinzman, 1988)

Réalisateur : S. William Hinzman
Origine : États-Unis
Année de production : 1988
Durée : 1h28
Distributeur : NC
Interdiction : NC
Interprètes : S. William Hinzman, John Mowod, Leslie Ann Wick

Un groupe de jeunes part faire du camping dans les bois, le soir d’Halloween. Malheureusement pour eux, le FleshEater vient tout juste d’être sorti de son sommeil éternel et va les prendre en chasse pour les exterminer jusqu’au dernier…

Et en avant pour la critique de l’un des pires films de zombies de tous les temps ! Attention les yeux, c’est du lourd ! Non content d’être le premier zombie mangeur de chair porté à l’écran en 1968 dans Night Of The Living Dead, S. William Hinzman décide vingt ans plus tard de créer son propre film de morts-vivants (ben ouais, y a pas de raison !), qui n’est en réalité ni plus ni moins qu’un honteux plagiat de l’œuvre de George A. Romero. Désireux de s’ériger en tant que digne suite de Night Of The Living Dead, FleshEater n’aura de cesse de vouloir s’incruster au sein de la saga de ce pauvre George en multipliant les faux liens avec le premier volet (déjà par l’intermédiaire de son sous-titre : Revenge Of The Living Dead). Ces efforts pathétiques le conduisent donc à produire une daube infâme et désespérément creuse qui se présente comme une sorte de préquelle foireuse ou de pseudo-suite (on ne sait pas trop) faisant office de véritable torture mentale pour tout spectateur équilibré (non masochiste, j’entends).

Le néant qui se dégage de cette monumentale atrocité cinématographique est donc une authentique souffrance psychologique qui provient autant du fait que l’on ait l’impression d’assister à un mauvais film amateur tourné avec les moyens du bord (genre Camp Blood mais en moins drôle) que de la désagréable sensation d’être pris pour des cons du début à la fin du film. En effet, comme il ne se passe absolument RIEN au niveau de l’histoire, ce bon vieux Hinzman n’a rien trouvé de mieux que d’introduire de nouveaux personnages indéfiniment pour ensuite les faire mourir deux minutes après, et ce dans le but d’espérer combler un peu le vide incommensurable d’un scénario merdique qui peut tenir à l’aise sur une seule page. Au programme : des dialogues transcendants (« J’aime bien ton costume… ») ; de l’action à revendre (« Tu vas me chercher du bois ? ») ; des scènes gore à la limite de l’insoutenable (les gros plans répugnants sur deux personnages étonnamment moches qui s’embrassent comme des machines à laver) ; des zombies ultra-forts à la gueule recouverte de steacks hachés qui toquent aux portes et tendent des embuscades dans le noir ; du sexe hot (pourquoi elle se fout à poil, là ?) ; bref, tout ce qui fait la recette parfaite d’une bonne petite série Z bien à chier.

Mise à part la profusion hallucinante d’incohérences scénaristiques, un truc trop drôle est de voir brusquement les personnages se barricader, sous pression extrême, glissant vers une folie certaine, alors même qu’il n’y a absolument AUCUNE menace à l’extérieur… Trop fort ce Hinzman. Mais à la surprise amusée du début se succède bien vite une exaspération incontrôlable que la musique du film va venir exacerber de par son omniprésence ininterrompue tout au long du film. S’il est possible que vous trouviez la bande-son plutôt plaisante au début du générique, soyez sûrs et certains qu’au bout de vingt minutes elle vous fera pisser du sang par les oreilles. De raccourcis scénaristiques aberrants en scènes de nu incompréhensibles, FleshEater nous balance fièrement sa théorie personnelle de l’apparition des morts-vivants mis en exergue dans Night Of The Living Dead. Oui, parce que, vous comprenez, la « vérité vraie », ce que Romero n’a jamais dit et que Hinzman, lui, connait sur le bout des doigts, c’est que le premier zombie au monde a en réalité été sorti de sa tombe satanique creusée dix centimètres sous terre et recouverte d’un fin tapis automnal de feuilles mortes, et que c’est pour ça qu’il est venu se venger en mangeant tout le monde. Cette séquence magique s’accompagne d’un regard-caméra de Hinzman (qui tient donc le rôle de ce zombie en costard commun aux deux films) qui semble vouloir dire : « Ah Ah ! Vous vous souvenez bien sûr du zombie qui surgit du cimetière et attaque Barbara et Johnny dans Night Of The Living Dead ? Ben c’était moi ! ». Oui, oui, on t’avait reconnu, Hinzman, et ce sera malheureusement difficile d’oublier le visage du créateur d’une bouse pareille…

Techniquement parlant, FleshEater fait peine à voir, surtout ses transitions ignobles effectuées toutes les cinq minutes à grands coups de fondus au noir insupportables et dont chaque scène qui suit n’apporte strictement rien de plus que la première. Sans parler des poursuites à deux à l’heure et des subterfuges risibles pour pallier à un flagrant manque de moyens (chaque zombie venant de mordre se retrouve ainsi avec un morceau de chair entre les dents, pour bien nous faire comprendre que c’est un zombie, et que donc, par conséquent, il mange les vivants), ou encore du choix très pertinent de donner à voir des meurtres d’enfants faussement dramatiques mais réellement pathétiques pour démontrer qu’il s’agit bel et bien d’un film d’horreur, au cas où cela ne nous serait pas encore apparu très clairement… C’est clair, ce film est une horreur, une erreur même, et qui n’aurait certainement jamais dû voir le jour. Les acteurs atteignent des sommets d’inexpressivité (« Oh là là, ma fille est morte… ») tandis que les zombies adoptent une curieuse démarche de sumo (véridique !), le tout agrémenté de quelques rares scènes d’action hyper-mal faites et d’une mollesse qui a quelque chose d’hypnotique (je veux dire par là qu’elles nous plongeraient presque dans un état second… de catatonie).

Mais parlons à présent un peu de ce plagiat… S’agit-il réellement de transposition identique de scènes devenues cultes pour compenser un terrible manque d’imagination ? Mesdames et messieurs, la réponse est OUI, c’est exactement ça ! Et le pire, c’est qu’il n’y en a pas qu’une, de scène volée, mais un bon paquet… En plus de celle que j’ai déjà abordée un peu plus haut, où les personnages, en proie à la plus débile et injustifiée des paniques de l’histoire du cinéma, se barricadent dans une grange pourrie pour se protéger contre le vide ; nous pouvons également citer la scène de fin, dans laquelle des rednecks impitoyables organisent une grande battue aux morts-vivants pour flinguer du gibier humain tout en s’amusant. Même interview d’un flic qui explique la situation à des journalistes, même idée directrice développée au travers des ces chasseurs sadiques, la fin de FleshEater, en plus de durer trois plombes, exhibe son forfait sans vergogne. Et, le fin du fin, le must du film, c’est la mort de ses deux personnages « principaux » (s’il y en a). Là, je crois qu’on peut dire qu’on touche vraiment le fond… Pressentie à des kilomètres par une effusion surchargée de pathos à vous faire vomir, la mort du couple de jeunes est absolument identique à la mort de Ben dans Night Of The Living Dead. C’est cool, parce qu’on le voyait pas du tout venir, en plus… Comme par hasard, les personnages décident justement de sortir de leur cachette quand les chasseurs font le ménage et, comme par hasard encore, ils se font tuer d’une balle en pleine tête parce qu’ils ont été confondus avec des zombies ; oh là là, que de coïncidences, c’est fou la vie, quand même… Bref. Voilà, quoi. Tout ça pour dire que ce film n’est qu’une merde prétentieuse.

FleshEater fait donc partie des PIRES films voulant s’approprier un peu de l’aura de Night Of The Living Dead, mais aussi et plus généralement de la production cinématographique toute entière en matière de zombie. Orgueilleux, ennuyeux, consternant et chapardeur, ce film est à placer au fin fond des oubliettes des films les plus inutiles du siècle passé. A éviter par tous les moyens !

Dawn Of The Dead (George A. Romero, 1978)

Réalisateur : George A. Romero
Origine : États-Unis, Italie
Année de production : 1978
Durée : 1h55
Distributeur : Anchor Bay Entertainment
Interdiction : Interdit aux moins de 16 ans
Interprètes : Ken Foree, Scott H. Reiniger, David Emge, Gaylen Ross

Dans le monde entier, les morts sont revenus à la vie et se repaissent des vivants. L’Amérique est à feu et à sang, les autorités s’efforcent d’endiguer l’épidémie et de vives polémiques déchirent la population. Un groupe de survivants décide de s’enfuir et de se réfugier dans un centre commercial. Alors que la vie s’organise à l’intérieur, la situation empire à l’extérieur…

Réalisé dix ans après Night Of The Living Dead, Dawn Of The Dead (titre original de notre Zombie européen) signe le retour en force de George A. Romero, désormais détenteur d’un certain prestige et bien décidé à aller jusqu’au bout de son propos. La version dont je vous parlerai dans cet article est celle de Dario Argento, qui s’est vu confier la postproduction du film pour une version européenne.  Le grand maître du giallo a ainsi assuré le montage, plus court mais aussi et surtout beaucoup plus percutant et rythmé que celui de Romero, ainsi que la composition de la musique du film, interprétée par le fameux groupe italien Goblin (Suspiria ; Les Frissons De l’Angoisse).

D’emblée, le film frappe très fort avec sa séquence d’introduction complètement déchaînée rendant compte de la situation apocalyptique à laquelle la population américaine tente vainement de faire face. La frénésie du montage cut, l’anarchie des échanges verbaux entre les différents protagonistes ainsi que la cacophonie sonore produisent un effet de pure panique qui scotche d’emblée le spectateur à son siège. Le réalisateur en profite par ailleurs pour poursuivre la mise en image du dilemme éthique déjà présent dans Night Of The Living Deadet qu’il filera tout au long de sa saga : comment considérer les morts-vivants ? Faut-il les tuer froidement d’une balle dans la tête, même s’il s’agit de nos amis ou de notre famille ? Cette séquence survoltée présente ainsi deux camps opposés (l’un pour « tuer » les morts et l’autre qui s’y refuse) qui s’acharnent tous deux à défendre leur position respective avec verve alors que la majorité rejette de toute évidence l’idée d’un traitement impitoyable de leurs pairs revenus d’entre les morts. En quelques minutes seulement, Romero nous fait part de ses considérations bien pessimistes sur notre condition et nous invite à les partager en nous moquant de cette faiblesse sentimentale intrinsèquement humaine. Cette séquence éprouvante a pour but de plonger le spectateur dans une ambiance dramatique qui n’aura de cesse de monter crescendo tout au long du film et qui laisse décidément bien peu d’espoir quant à la survivance de cette espèce définitivement esclave de son inclinaison aux sentiments les plus futiles, même en temps de crise comme celui-ci.

Par la suite, le film se dévoile extrêmement gore, ce qui lui valut d’être considéré par certains comme « le film le plus effrayant de tous les temps ». Les effets spéciaux et maquillages sont réalisés par le génial Tom Savini, qui tient d’ailleurs le rôle d’un biker casse-cou armé d’une machette dans le film (personnage que l’on retrouvera par la suite dans Land Of The Dead). Ce dernier qui n’avait malheureusement pas pu collaborer au tournage de Night Of The Living Dead, car il était à cette époque mobilisé pour la guerre du Vietnam en tant que reporter d’images, se rattrape ici en réalisant de véritables prouesses esthétiques. Le spécialiste avoue par ailleurs s’être directement inspiré des horreurs qu’il a côtoyées durant la guerre, ce qui donne un rendu d’un réalisme impressionnant pour l’époque. Ainsi, certaines scènes du centre commercial (l’éviscération de l’un des bikers en tête) sont absolument sublimes et sidérantes de vraisemblance, tandis que d’autres, comme le « repas » des morts-vivants qui se nourrissent des membres et d’organes humains, sont répugnantes à souhait. Les gros plans qui s’attardent longuement sur les yeux affamés ou la bouche ensanglantée des zombies, de même que les inserts sur les morceaux de chair fraîche et les os rongés, constituent quant à eux un véritable choc visuel qui s’imprime de force dans la rétine et restera à jamais gravé dans les mémoires. Par ailleurs, l’un des moments cultes du film est celui où les bikers s’éclatent à jeter des tartes à la crème à la face hagarde des zombies. Absolument jouissive, cette séquence bénéficie d’une bonne dose d’humour qui confère un peu de fraîcheur à cet univers glauque où le sang et les tripes coulent à flot. Ces scènes d’anthologie signent la gloire de Romero, qui a réussi grâce à son audace et à son génie à bouleverser du tout au tout notre perception du cinéma d’horreur.

Pour ce qui est de l’aspect général des zombies, il est en fait plutôt inégal, et l’on peut dire que seuls les personnages principaux (Roger et Stephen une fois transformés) sont vraiment réussis car très détaillés. Quant aux autres, même s’ils demeurent bien évidemment plus que corrects et parfaitement crédibles, ils connaissent encore quelques petits cafouillages niveau maquillage ; il faudra donc attendre son prochain film, Day Of The Dead, pour enfin voir des zombies arrivés au summum de la perfection. Néanmoins, l’oncle George reste toujours aussi fort dans l’art de diriger ses figurants ; l’on retrouve ainsi la gestuelle caractéristique de l’œuvre Romérienne et il faut bien avouer que c’est un véritable plaisir que de voir les zombies déambuler sans but dans le centre commercial, chuter dans les escalators ou barboter dans les fontaines. De plus, Romero, regrettant probablement d’en avoir trop dit quant aux origines de l’apparition du phénomène dans Night Of The Living Dead (même si c’était déjà plutôt vague), décide de brouiller les pistes en lâchant une théorie issue du vaudou comme éventuelle explication (« Quand il n’y a plus de place en Enfer, les morts reviennent sur la Terre… »). Du coup, même dix ans après, le mystère reste total et, tout au long de la saga, le public n’aura jamais connaissance des véritables raisons qui auront poussé les morts à se relever.

Le jeu des acteurs est lui aussi sans faille, et l’on a tôt fait de s’attacher à ce petit groupe de survivants qui tente le tout pour le tout pour s’échapper de cet enfer sur terre. Les conséquences de l’isolement de longue durée qu’ils subissent sont très bien rendues, le film parvenant à représenter la lente déchéance mentale de chacun des protagonistes de manière très efficace (Roger qui pète les plombs et devient de plus en plus imprudent ; la journaliste qui joue les pin-up en se maquillant comme Bozo le clown, etc.). L’organisation que met en place le groupe pour survivre reste elle aussi très plausible de par sa simplicité ainsi que la spontanéité des différentes réactions et décisions des personnages.

En effet, les héros de Zombie sont avant tout humains, c’est donc sans grande surprise que nous les observons s’efforcer de vaincre leur angoisse par le biais de la consommation. Une fois le centre commercial accessible après l’extermination des zombies environnants, la joie explose : une jouissance semblable à celle d’un enfant en extase devant le rayon des jouets et qui présage leur lente mais sûre ascension vers une folie certaine. Les personnages se saisissent alors de tout ce qui leur tombe sous la main (montres, bijoux, manteaux, chapeaux, etc. ; des futilités en somme) tout en essayant de se convaincre qu’il existe bel et bien quelque avantage au tragique de leur situation inextricable. En choisissant la consommation d’objets pure et simple comme dernier sursaut de joie de l’humanité avant son extinction, Romero affirme le côté pamphlétaire de son œuvre (qu’ont dédaigné les critiques de l’époque) et livre une satire féroce de la superficialité des préoccupations principales de la population américaine (et même mondiale). « Ils viennent ici par habitude. Ce lieu devait tenir une grande place dans leur vie… » Cette phrase culte appuie la mise en évidence de cet engrenage pathétique mis en place par une société consumériste et égoïste que Romero rejette de toutes ses forces. A cet instant, c’est bel et bien la voix du réalisateur qui résonne à travers les paroles de Peter, interprété par Ken Foree (Massacre A La Tronçonneuse 3 ; L’Armée Des Morts), acteur de séries Z qui signera son retour zombiesque trente ans plus tard avec Zone Of The Dead, film serbe raté qui relève davantage d’une volonté de « recyclage » que d’innovation.

Avec Zombie, George A. Romero parvient à produire un véritable film d’auteur devenu par la suite  au moins aussi culte que Night Of The Living Dead, beaucoup plus violent et dérangeant que son prédécesseur. Une œuvre digne de figurer au panthéon des films d’horreur les plus marquants de l’histoire du cinéma de genre, et qui témoigne de par ses moyens extrêmes de l’immense force de frappe du maître incontesté des morts-vivants.

Night Of The Living Bread (Kevin S. O’Brien, 1990)

Réalisateur : Kevin S. O’Brien
Origine : États-Unis
Année de production : 1990
Durée : 08 minutes
Distributeur : Elite Entertainment
Interdiction : Aucune
Interprètes : Vince Ware, Katie Harris, Robert J. Saunders

Arrivés au cimetière pour fleurir la tombe de leur mère, Barbara et Johnny sont attaqués par des pains de mie vivants. Johnny étant mis KO, Barbara court se réfugier dans une maison de campagne où elle rencontre Ben et deux autres survivants. Mais ils ne vont pas tarder à être encerclés par une horde de pains de mie impitoyables qui cherchera par tous les moyens à avoir leur peau. L’invasion ne fait que commencer…

Petite parodie assaisonnée d’un humour délicieusement kitsch de Night Of The Living Dead de George A. Romero, ce court-métrage indépendant de Kevin S. O’Brien obtint un succès inespéré lors de sa sortie. Tout d’abord diffusé sur une chaîne de télévision locale de Pittsburgh, (Pennsylvanie) puis carrément inclus dans les bonus de l’édition dvd célébrant le trentième anniversaire du chef-d’œuvre de l’initiateur de la célèbre saga des morts-vivants, Night Of The Living Bread est une petite perle comique dont l’aspect volontairement désuet ravira les fans du film original.

Intégralement en noir et blanc, le film multiplie les effets « vieillots » pour se rapprocher au maximum de son modèle. L’image n’est pas très nette et la musique reste très présente, tonnant son thème dramatique de manière exagérée et vraiment très drôle compte tenu du décalage existant entre le son et les images qui nous sont données à voir. En effet, la situation est tout ce qu’il y a de plus grotesque : des pains de mie sautent littéralement au visage de leurs victimes qui se débattent de toutes leurs forces mais qui finissent immanquablement par périr des violentes attaques de leurs assaillants enragés.

Il est absolument hilarant de s’imaginer (sans mal) les mecs hors cadre qui balancent les pains de mie sur les acteurs, ou encore les fils qui les suspendent dans les airs. Les scènes où les personnages brandissent toaster et micro-ondes pour tenter de repousser les pains de mie atteignent des sommets en matière d’humour absurde ; de même que les conseils prodigués par les autorités par l’intermédiaire de la télévision, suggérant à la population de se méfier des restes au frigo qui peuvent également devenir agressifs si l’envie leur en prend ! Le final où Ben, ne voyant plus d’ennemis par la fenêtre, se décide à ouvrir la porte et se retrouve enseveli en forme de croix sous une montagne de pains de mie tueurs clôt avec brio cet hommage cocasse au film qui a révolutionné le cinéma d’horreur vingt ans auparavant.

Une bonne petite parodie en somme, très simple mais très fun, qui tire toute son efficacité d’une ambiance bon enfant et d’une utilisation ingénieuse des moyens du bord. Dans le même genre, je vous conseillerais la fausse bande-annonce Revenge Of The Gang Bang Zombies, moins innocent mais tout aussi drôle !

Night Of The Living Dead (George A. Romero, 1968)

Réalisateur : George A. Romero
Origine : États-Unis
Année de production : 1968
Durée : 1h36
Distributeur : Films Sans Frontières
Interdiction : Interdit aux moins de 16 ans
Interprètes : Duane Jones, Judith O’Dea, Karl Hardman

Comme toutes les années, Barbara et son frère Johnny parcourent un long trajet en voiture pour venir fleurir la tombe de leur père. Alors que Johnny s’amuse à effrayer sa sœur, un homme étrange surgit du cimetière et attaque Barbara. Johnny court au secours de sa sœur mais, dans la bagarre, il tombe et se fracasse le crâne contre une pierre tombale. Désormais seule et affolée, Barbara court se réfugier dans une maison de campagne isolée où elle rencontre d’autres survivants. Ils essaient tant bien que mal de se barricader, mais les assaillants sont de plus en plus nombreux et semblent vouloir à tout prix pénétrer dans la maison. La radio leur annonce alors une terrible nouvelle : les morts se relèvent pour attaquer les vivants…

Night Of The Living Dead restera à jamais gravé dans les mémoires pour avoir plongé la population soixante-huitarde dans l’horreur la plus primaire et dévasté par la même les idéaux « flower power » de l’époque avec une virulence exacerbée que George A. Romero n’aura de cesse d’envoyer à la face de la société américaine dans l’ensemble de sa saga des morts-vivants. Tombé dans le domaine public pour avoir négligé ses droits d’auteur, ce chef-d’œuvre inégalable entraîna un engouement sans pareil chez les cinéastes et donna naissance sans le vouloir à bon nombre de films plus ou moins réussis s’autoproclamant suites de l’œuvre de Romero. Revenons donc sur cette pièce maîtresse du cinéma de genre qui contribua à lancer la nouvelle vague du cinéma américain des années 70 et qui, en dépit d’un budget extrêmement réduit, réussit le pari fou de produire ce qui allait par la suite être considéré de manière unanime comme l’un des plus grands films du siècle passé.

Mises à part quelques cafouillages techniques liés au montage et le choix du noir et blanc (plus dicté par des impératifs budgétaires que par une quelconque volonté esthétique), Night Of The Living Dead reste une œuvre véritablement  intemporelle tant les sujets qu’elle met en avant sont encore d’actualité. Les zombies ne sont au final qu’une sorte de prétexte pour dénoncer les aberrations du comportement humain, concept que Romero utilisera dans tous ses films sur les morts-vivants. En effet, plus que de l’envahissement imminent d’une nouvelle espèce déviante, ni vraiment morte, ni vraiment en vie, le film nous parle davantage d’un confinement, aussi bien spatial que moral, dans lequel tente bon gré mal gré de cohabiter un petit groupe de personnes. Chacun étant enfermé dans ses propres convictions, trouver un terrain d’entente s’avère être quasiment une mission impossible, ce qui causera la perte de chacun des protagonistes du film. Alors que tout autour de lui, la mode consiste à prôner la paix et l’amour, George A. Romero, lui, s’évertue à prouver que nos différences, si elles ne peuvent être dépassées en moment de crise, auront irrémédiablement raison de nous.

Outre tenir un discours à contre-courant de son époque par des moyens plus que frontaux, le créateur du « zombie mangeur de chair » s’affaire à mettre en place tous les codes que l’on retrouvera par la suite dans sa saga des morts-vivants. La lenteur cadavérique du zombie, son besoin irrépressible de dévorer de la viande humaine, la contamination quasi-instantanée par morsure, la destruction du cerveau comme seul moyen d’en venir à bout, etc. ; toutes ces caractéristiques propres au zombie Romérien sont établies avec une cohérence stylistique pour le moins surprenante chez un jeune réalisateur qui dirige ici son tout premier film, dont il est également le scénariste (avec  John A. Russo) mais aussi le monteur, directeur de la photographie et même figurant. D’ailleurs, l’excellente direction de ses acteurs principaux a également contribué au succès de Night Of The Living Dead, même si la séparation des deux camps que forment les personnages a quelque chose de manichéen (Ben incarne le Bien, les vraies valeurs et le bon sens, tandis que Harry incarne le Mal, la sournoiserie et la lâcheté). Mais, fort heureusement, les autres personnages secondaires (Tom et Judy Rose, Helen et sa fille Karen) sont assez présents et suffisamment élaborés pour efficacement rééquilibrer la balance et donner à la situation une puissance de frappe ahurissante qui convainc autant par l’aspect très réaliste dont bénéficie le scénario que par la superbe interprétation des acteurs. Dans ce petit groupe hétérogène, Barbara (Judith O’Dea) fait office de figure à part, tant du point de vue de son comportement que du traitement scénaristique de son personnage. De personnage principal, elle glisse progressivement vers le statut de personnage secondaire tandis que Ben fait exactement le cheminement contraire et, du coup, les rôles s’inversent avec subtilité sans que le spectateur ne s’en rende vraiment compte. L’inertie de Barbara et l’instinct de survie de Ben contribuent à les faire s’échanger leur rôle comme par un accord implicite passé sous la pression de la loi du plus fort qui par ailleurs imprègne tout le film. Ce sont donc les interactions conflictuelles entre les personnages et l’inextricabilité de la situation principale qui ont en grande partie produit l’impact social du film, mais pas seulement…

Car les zombies constituent eux aussi un véritable choc visuel qui vient forcer la garde du spectateur moyen précisément là où il ne s’y attend pas… Presque avec un sadisme consommé, George Romero met en scène des êtres comme vous et moi, des enfants, des vieillards, des jeunes filles en fleurs et des adultes respectables, à la différence près qu’ils avancent en beuglant et se livrent à des orgies cannibales. Non seulement ce bon vieux George a eu l’audace de choisir un acteur Noir (Duane Jones) pour interpréter le personnage principal de son histoire (ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque), mais en plus il s’est permis de donner à voir des femmes nues et des hommes en pyjama qui dévorent leur prochain, et même des petites filles qui assassinent leurs parents à la truelle ! Il est difficile de ne pas tomber en admiration face à une telle prise de position jusqu’au-boutiste qui ne recule devant rien pour faire passer son message. En tout cas, ça a le mérite d’être clair : Romero déclare la guerre au système américain en pulvérisant ses pseudo-valeurs éthiques les unes après les autres par le biais d’images coups de poing qui viennent buter contre la morale bien-pensante de l’époque.

Les scènes gore sont quant à elles d’une violence abrupte, sèche, vectrice d’un effroi pur  et annonciatrice d’un genre spécifique dans lequel Romero va exceller tout au long de sa carrière. Les inoubliables scènes de « repas », durant lesquelles les zombies se repaissent gloutonnement de viscères gluantes, de foie ou de membres fraîchement arrachés des corps calcinés quelques minutes plus tôt, offrent un véritable aperçu de ce qu’allait être le cinéma de genre quelques années plus tard : un art en pleine révolte,  devenu presque marginal et désireux de transgresser tous les interdits et de représenter l’irreprésentable. Les scènes de « repas » des morts-vivants ou d’éviscérations constitueront par la suite la sanglante « signature » du maître dans ses autres films de la saga Of The Dead. Mais il est également à noter que dans certains cas, le film fait appel à la suggestion (pour des défoncements de crânes et autres joyeusetés), concept d’autant plus efficace qu’il permet au spectateur de s’en donner à cœur joie pour imaginer ce que les bruitages sous-entendent…

Chef-d’œuvre avant-gardiste du cinéma d’horreur, pamphlet sociétal sans précédent d’une Amérique en chute libre, initiateur de la figure fantastique du zombie, Night Of The Living Dead ne compte plus les domaines qu’il a révolutionnés en cette année de 1968…  Le premier film du cinéaste de Pittsburgh reste  incontestablement le témoin indétrônable des bouleversements éthiques et esthétiques de son temps, de même qu’une œuvre d’auteur indéniablement réussie qui procurera à tout amateur de films de genre une exquise décharge d’adrénaline horrifique.

Remarque à part, il me semble important de signaler que faute de droits d’exploitation, une kyrielle de (mauvaises) versions du film viennent sans aucun scrupule envahir le marché. Les bacs à dvd sont ainsi remplis de versions hideusement colorisées et remasterisées, comportant le plus souvent des scènes supplémentaires ou des scènes coupées retournées de manière différente (avec des marionnettes, par exemple…), des séquences d’animation, ou encore une bande-sonore différente… Et j’en passe. Prenons le cas de John A. Russo (coproducteur et coscénariste de Night Of The Living Dead), très représentatif de l’envergure que peuvent prendre ces abus honteux : après avoir tourné le dos à George A. Romero à la suite de nombreux différends, John A. Russo décide de revendiquer sa paternité du premier volet de la saga des morts-vivants en sortant pour le trentième anniversaire du film un director’s cut (le Survivor’s Cut)soi-disant remasterisé et comportant des pseudo-scènes inédites (tournées sans l’accord de son ancien meilleur ami) qui ne comportent strictement aucun intérêt si ce n’est définitivement entacher l’œuvre originale du Maître des zombies. Triste affaire que celle-ci, qui n’est pourtant qu’un exemple parmi tant d’autres…

Night Of The Living Dead (Tom Savini, 1990) [remake]

Réalisateur : Tom Savini
Origine : États-Unis
Année de production : 1990
Durée : 1h25
Distributeur : Columbia Tristar Dvd
Interdiction : Interdit aux moins de 16 ans
Interprètes : Tony Todd, Patricia Tallman, Tom Towles

Barbara et son frère Johnny viennent fleurir la tombe de leur mère récemment décédée. Alors que Johnny s’amuse à effrayer sa sœur, un homme étrange surgit du cimetière et attaque Barbara. Johnny court au secours de sa sœur mais, dans la bagarre, il tombe et se brise la nuque contre une pierre tombale. Désormais seule, Barbara court se réfugier dans une maison de campagne isolée où elle rencontre d’autres survivants. Ils essaient tant bien que mal de se barricader, mais les assaillants sont de plus en plus nombreux et semblent vouloir à tout prix pénétrer dans la maison. Ils vont alors comprendre à leurs dépens la terrible vérité : les morts se relèvent pour attaquer les vivants…

Célèbre spécialiste du maquillage et des effets spéciaux au talent reconnu, Tom Savini passe derrière la caméra pour la première et dernière fois avec ce remake du célèbre film Night Of The Living Dead réalisé en 1968 par son vieil ami George A. Romero, avec qui il a par ailleurs longtemps collaboré. Loin de ressembler aux multiples daubes pestilentielles qui ont maintes fois tenté de s’approprier un peu de l’aura du film de l’oncle George, ce remake, produit par le papa des morts-vivants en personne, réussit l’exploit de se hisser à la hauteur de l’œuvre originale, et peut-être même de la dépasser…

Bien que l’histoire de cette nouvelle version de Night Of The Living Dead suive à peu près le même déroulement narratif que l’œuvre de Romero, Tom Savini a néanmoins pris soin de glisser quelques variations scénaristiques et stylistiques qui ne sont pas pour nous déplaire. En effet, les fans du film original adoreront se laisser piéger par les feintes du réalisateur qui prend un malin plaisir à se jouer de nos attentes pour mieux nous surprendre. Subtiles et efficaces, ces quelques nuances permettent à Savini d’innover tout en restant fidèle à l’œuvre culte dont il offre une relecture pour le moins intéressante et originale.  Par exemple, la Barbara version 1990 (interprétée par la superbe Patricia Tallman) n’a absolument plus rien à voir avec la Barbara de 1968, la mollesse caractéristique de cette dernière ayant tout bonnement été remplacée par une niaque virulente qui en surprendra plus d’un. De même, le personnage de Tony Todd (Candyman, Destination Finale), Ben, tient ici le second rôle principal et non plus le premier : même si son comportement et son statut de leader restent identiques à celui du Ben jadis interprété par Duane Jones, c’est tout de même Barbara que le spectateur suit du début à la fin du film. Quant aux personnages secondaires, ils restent à peu près les mêmes, si ce n’est Judie Rose, l’épouse de Tom, qui s’est entre-temps métamorphosée en hystérique criarde qu’il nous tarde de voir périr dans les flammes.

Par ailleurs, le film regorge de clins d’œil qui constituent un véritable régal pour les fans. Citons en exemple la boîte à musique au travers de laquelle le spectateur pouvait apercevoir le visage décomposé de Barbara dans le film original qui se retrouve ici brisée en milles morceaux lors d’un moment d’extrême agitation, ou encore le sang qui gicle sur la truelle lors de la mort d’Alice Cooper, cette même truelle qui avait servi trente ans plus tôt à la jeune Karen Copper (ici rebaptisée Sarah) pour opérer le matricide qui avait bouleversé une génération toute entière de cinéphiles. Ce ne sont là que quelques exemples parmi beaucoup d’autres qui témoignent de la complicité qui existe entre ces deux grands artistes réunis pour le trentième anniversaire de Night Of The Living Dead par la motivation commune de produire un film authentique et de qualité certaine.

Les zombies sont quant à eux très réussis et véritablement effrayants, les maquillages de John Vulich et Everett Burrell ayant produit des merveilles de laideur post-mortem. Appliquant presque à la lettre l’ensemble des codes initiés par le réalisateur fétiche du cinéma zombiesque, Savini nous donne à voir des morts-vivants de tous horizons, extrêmement lents et qui attaquent « en meute » jusqu’à ce que leur faim gargantuesque soit assouvie. Brutal mais pas vraiment gore, ce nouveau Night Of The Living Dead nous prive de « repas » (des zombies, j’entends) mais nous offre en compensation une diversité des corps absolument jouissive pour tout amateur de zombies. Obèses ou squelettiques, clochards ou costards-cravates, sortis du cimetière ou fraîchement décédés puis revenus à la vie, les morts-vivants forment un groupe terrifiant autant par son hétérogénéité qui n’est pas sans manquer de vraisemblance que par les balafres béantes qu’ils exposent sans aucune pudeur. La violence est donc principalement suggérée, même si Savini, généreux, nous balance de temps en temps de franches giclées de sang ou de bons petits transperçages de crânes juste exactement comme on les aime.

La fin du film diffère largement de celle du scénario de 1968, d’une part parce que, contre toute attente, la rousse et non plus blonde Barbara se sort indemne de ce qui pourrait bien être la plus longue nuit de toute se vie ; mais aussi pour le message que le vétéran du Vietnam tente de nous faire passer par l’intermédiaire d’images aussi explicites que cruelles. En effet, le film s’attarde à nous montrer des chasseurs rednecks qui profitent de l’anarchie de la situation pour se décharger de leurs pulsions sadiques en se livrant à des jeux morbides sur les zombies (concours de force, stand de tir et autres attractions de fête foraine) tandis que l’héroïne observe la scène et déclare « Ils sont nous. Nous sommes eux ». Ce concept supposant que les monstres ne sont finalement pas ceux que l’on croit était déjà mis en avant de manière implicite par Romero dans son Night Of the Living Dead et perdurera dans toute sa saga des morts-vivants (notamment à la fin de Diary Of The Dead). Tom Savini clôt ensuite son film de la même manière que l’œuvre originale, par le montage de photos illustrant la fameuse scène finale du bûcher des morts-vivants, traînés et entassés dans leur « fosse commune » comme de la vulgaire bidasse avariée.

Le seul et unique long-métrage du très charismatique « Sex Machine » (voir Une Nuit En Enfer de Robert Rodriguez) peut donc être légitimement considéré comme un véritable remake digne de ce nom et faisant honneur au chef-d’œuvre ultime de ce très cher George ; mais aussi comme un excellent film de zombies comme on en voit que trop rarement, original et captivant, et qui livre ici un hommage majestueux aux films de genre.

Day Of The Dead (Steve Miner, 2008) [remake]

Réalisateur : Steve Miner
Origine : États-Unis
Année de production : 2008
Durée : 1h26
Distributeur : Millenium Films
Interdiction : Aucune
Interprètes : Mena Suvari, Nick Cannon, Michael Welch, Ving Rhames

Une épidémie se répand dans une petite ville des États-Unis, la garde nationale organise alors une quarantaine afin de contrôler l’épidémie. Sarah, caporal de la garde nationale originaire de cette même ville, décide d’aller prendre des nouvelles de sa mère et de son frère.

Quelle grosse merde.

Excitant comme un plagiat raté de Bruno Mattei et presque aussi prétentieux qu’une daube à gros budget de Paul W.S Anderson, ce remake, ou plutôt devrais-je dire cet affront au chef-d’œuvre culte de 1985 Day Of The Dead, s’acharne à vouloir péter plus haut que son cul pour un résultat, disons-le clairement, pire encore que tout ce qui se fait en termes d’opportunisme foireux et complètement dénué de talent. Visuellement très très moche, atrocement mal joué, inintéressant au possible et ridicule à en pleurer, le film de Steve Miner (Le Tueur du Vendredi ; Halloween, 20 Ans Après ; Lake Placid) se fout ouvertement de la gueule des fans de l’original en prenant des libertés qui, s’il y avait déjà fort peu de chances pour qu’elles réussissent à surpasser ou ne serait-ce qu’à égaler le scénario de George A. Romero, s’avèrent être des initiatives aussi merdiques qu’incohérentes. Retour sur le massacre d’un chef-d’œuvre en bonne et due forme.

Le premier point qui nous agresse les yeux au visionnage de Day Of The Dead, c’est son absence totale d’originalité – d’inspiration ? – que le film tente vainement de combler à grands coups d’effets de style plus risiblement cheap les uns que les autres. Le pire reste sans nul doute ces accélérations d’images intempestives convoquées dans l’unique but de donner un semblant de dynamisme au film mais qui ne parviennent au final qu’à rendre les actions complètement brouillonnes voire carrément illisibles. Cet effet insupportable va en réalité de pair avec le parti pris de Steve Miner – sans doute le pire outrage du film – de donner des pouvoirs surhumains à ses zombies. En effet, ceux-ci sont capables de pousser des sprints supersoniques, de marcher au plafond comme dans L’Exorciste, de courir sur les murs à la Prince Of Persia, et j’en passe des pires et des meilleures… Ben ouais, normal : ils sont morts, quoi de plus logique ?! Ces grotesques accélérations essaient donc tant bien que mal de rendre la présence insignifiante des zombies un tantinet angoissante (ce qui reste malgré tout un échec), la rapidité servant souvent de dernier recours aux films nazes pour tenter de faire peur lorsque leur scénario touche le fond.

Et il faut bien avouer que niveau zombies, Day Of The Dead en tient une sacrée couche, je parle notamment de ces nombreuses scènes de métamorphoses ridicules et tout bonnement incompréhensibles (les gens normaux qui se décomposent en bidoche avariée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire) avec même au programme une super-vision intracrânienne pour illustrer le processus de contamination des cellules du cerveau par le virus (allez, ne nous refusons rien, on a les moyens après tout…). En plus de ces joyeusetés, cet immonde remake qui ne se contente pas uniquement d’user et d’abuser de CGI absolument atroces a même eu  le mauvais goût de transformer les zombies si subtilement élaborés de Romero en monstres assoiffés de sang tuant davantage pour le plaisir que par instinct de se nourrir (c’est simple, on ne les voit jamais se nourrir). Sans parler de l’honteuse scène d’auto-cannibalisme (si, si, je vous jure !) qui a largement de quoi foutre les puristes en rogne, et ils auront bien raison ! D’ailleurs, ne saviez-vous pas que les zombies se désintégraient instantanément au contact des flammes, os y compris ? Oui, oui, j’ai bien dit « désintégrer instantanément ». Le pire, c’est que le talentueux scénariste Jeffrey Reddick devait sans doute trouver ça trop classe comme idée…

Mais quel lien peut-il bien y avoir entre cette sombre merde et le Day Of The Dead de 1985 ? Aucun, mis à part peut-être le prénom de l’héroïne, Sarah, interprétée par une Mena Suvari (American Beauty ; Stuck) complètement à côté de ses pompes, et encore, il est bien possible que ce soit là le pur fruit du hasard. Le remake a même cru judicieux d’aller à contre-courant de l’original en faisant des militaires les « gentils » se battant contre les méchants scientifiques, réduisant par là même la critique antimilitariste de Romero à néant. Que reste t-il donc de bon à prendre dans ce remake ? Absolument rien. Des dialogues creux et ennuyeux à en crever, un scénario aussi inintéressant qu’illogique (une usine de fabrique Nike secrètement reconvertie en silo de l’armée Russe à l’insu de tous… malgré le gros sigle « Biohazard » qui orne sa façade, of course) ; des acteurs de seconde zone insipides et pas crédibles un brin (mention spéciale au scientifique pseudo-beau gosse en costard-cravate tout droit sorti d’un épisode de Nip/Tuck) ; des scènes d’action puant le fake a des kilomètres (ah ah ! je tire au fusil à pompe d’une seule main et y a même pas de recul !) quant elles ne frisent pas carrément la bouffonnerie (le zombie fourbe qui attaque silencieusement du plafond façon Alien…). Le film, malgré » son manque évident de budget, a quand même tenu à se payer quelques « stars » en les personnes de Mena Suvari (sans doute en mal de reconnaissance) et de Ving Rhames, décidément abonné aux remakes (Dawn Of The Dead ; Piranha 3D) qui au final n’apparait pas plus de dix minutes en tout à l’écran (il devait sûrement coûter trop cher…).

Mais je suis mauvaise langue, il y a bien UN point commun entre ce remake pourri sur tous les points et l’original : le zombie intelligent « Bub » (« Boubou » en français), ici rebaptisé « Bud ». Eh bien, croyez-le ou non, mais même ça, le film a réussi à le foirer ! Tout ce qui constituait un formidable intérêt dans le film de Romero et qui de plus était traité avec une sensibilité (et non sensiblerie) touchante et empreinte d’humanisme se retrouve ici littéralement saccagé par une overdose de bons sentiments absolument pathétiques et incohérents tout juste bons à filer la nausée. Ici, le gentil petit soldat végétarien Bud (le très inexpressif Stark Sands) tombé amoureux en trois secondes-chrono de sa supérieure conservera une fois transformé en zombie son profond amour pour Sarah de même que son aversion pour la viande. Voici donc… Le premier zombie végétarien de l’histoire du cinéma ! Pire, il sauvera même sa belle des griffes de ses congénères ! A voir ça, on se dit que le film nous prend vraiment pour des cons. Encore pire, les zombies, se sentant honteusement trahi par l’un des leurs, n’hésiteront pas à lui faire subir de cruelles représailles… Mais où va le monde ?!

Nul à chier, voilà ce qui caractérise le mieux ce Day Of The Dead aussi aberrant par son absence totale de qualités que par sa prétention démesurément éhontée. Tout ça pour ça, j’ai envie de dire… Y a des idées qui feraient mieux de rester au fond d’un tiroir pour l’éternité. Y a aussi des films qui foutent vraiment la haine. Et y a Day Of The Dead, un anti-film notoire qui n’aurait jamais du voir le jour.

Land Of The Dead (George A. Romero, 2004)

Réalisateur : George A. Romero
Origine : États-Unis
Année de production : 2004
Durée : 1h33
Distributeur : Pan Européenne Diffusion
Interdiction : Interdit aux moins de 12 ans
Interprètes : Simon Baker, Asia Argento, John Leguizamo, Dennis Hopper

Dans un avenir pas si lointain, une poignée de survivants barricadés dans une ville bunker vit encore dans le souvenir de l’ancien monde… Des zombies, qui désormais pensent et communiquent, s’organisent pour prendre d’assaut la ville bunker. Kaufman, autoproclamé chef des vivants, engage un commando de mercenaires pour contrer les attaques de ces morts-vivants d’un genre nouveau…

Sorti en 2005, Land Of The Dead signe le retour fracassant au cinéma de ce bon vieux George qui, il faut bien l’avouer, connut sa petite traversée du désert artistique entre 1992 et 2005 avec seulement un film en presque quinze ans (Bruiser)… Il revient donc sur sa légendaire saga des morts-vivants qu’il avait laissée en suspens exactement vingt ans auparavant avec Day Of The Dead (1985) pour en produire la suite directe qui cette fois clora définitivement le quadriptyque Of The Dead entamé en 1968 avec le chef-d’œuvre incontesté Night Of The Living Dead. On pouvait légitimement craindre le pire concernant ce soudain retour aux sources, mais Romero n’a pas son pareil pour nous surprendre : ainsi livre t-il avec Land Of The Dead une œuvre extrêmement sombre d’une puissance de frappe ahurissante, sorte de croisement hybride entre l’univers post-apocalyptique de Mad Max de George Miller ou de New York 1997 de John Carpenter et la lignée de mangas fin-du-mondistes des années 90 tels que Ken Le Survivant de Tetsuo Hara et Buronson ou encore l’excellent Gunnm de Yukito Kishiro.

Land Of The Dead revendique sa filiation avec les trois précédents volets de la saga dès son générique d’introduction dont les premières images ont la particularité de nous en mettre plein la vue. Par l’intermédiaire d’un montage très esthétisé d’extraits d’émissions radio ou télévisées, le début du film nous situe d’emblée dans un contexte fin-du-mondiste désespéré : il s’est apparemment déroulé un certain temps depuis que les morts se sont mis à marcher et à attaquer les vivants dans Night Of The Living Dead, et la situation est loin de s’être arrangée depuis… Il se dégage de ce générique véritablement impressionnant une aura d’une noirceur à faire froid dans le dos ; le caractère morbide des propos tenus couplé à une musique angoissante et à des images bien glauques (des visages de zombies grimaçants) annonçant d’entrée de jeu que le film ne compte pas faire dans la dentelle ; et c’est tant mieux. Mais attardons-nous davantage sur cette vision dantesque d’un univers ravagé par une espèce sur le point de s’éteindre, en proie à la folie et au chaos…

Land Of The Dead se présente en réalité comme une uchronie dystopique mettant en scène une population de plus en plus réduite qui s’efforce de survivre dans une sorte de ghetto où meurtres et pillages vont bon train. En plus de devoir quotidiennement affronter une horde de zombies affamés de chair vivante et chaque jour un peu plus nombreux, les survivants doivent avant tout lutter contre eux-mêmes, contre leur penchant naturel à sombrer dans la décadence en l’absence de tout cadre sécurisé. C’est donc en quelque sorte la lie de l’humanité que nous présente Romero dans Le Territoire des Morts, à l’instar des films de Miller et Carpenter précédemment évoqués : une espèce corrompue par le vice, perdue entre les jeux, l’alcool, la drogue et le sexe facile qui tente de s’organiser au mieux pour ralentir le processus d’extinction qui la menace depuis un temps indéterminé. Une humanité en pleine régression aussi, comme le suggère le concept de « l’arène aux zombies » dans laquelle est jetée la so sexy Slack (Asia Argento, fille du réalisateur et vieil ami de Romero Dario Argento) qui n’est pas sans rappeler les arènes aux lions ou aux gladiateurs de l’Époque Ancienne. Et lorsque la caméra s’attarde quelque peu sur les visages au comble du bonheur de vieilles dames en manteaux de fourrure qui applaudissent et trépignent d’impatience à l’idée de voir la jeune femme se faire dévorer vivante, on se heurte de plein fouet au message alarmiste que cherche à véhiculer Romero. C’est en grande partie grâce à ce genre d’images-chocs mais tout en subtilité que le cinéaste a forgé sa réputation d’artiste « engagé » au discours virulent (même si l’intéressé s’en défend).

Dans ce monde en complète perdition, un rêve subsiste cependant : l’espoir de pouvoir un jour s’installer au cœur du luxueux gratte-ciel Fiddler’s Green, espace utopique réservé aux riches et aux puissants et dirigé d’une main de fer par Kaufman (le regretté Dennis Hopper, dont la prestance unique bouffe littéralement tout l’écran). Pour illustrer le clivage existant entre ces deux couches de population que tout oppose, les images associées à la « décharge » où évoluent Riley (The Mentalist Simon Baker) et Cholo (Phénomènes John Leguizamo) demeurent toutes ternes et sombres, dans les tons froids de bleu et de gris ; tandis que celles associées à Fiddler’s Green sont au contraires lumineuses et chatoyantes. Par ailleurs, on peut aisément ressentir l’empreinte post-11 septembre 2001 qui imprègne l’œuvre toute entière, déjà par la figure de la menace terroriste que représente Cholo, mais aussi et surtout par l’intermédiaire du comportement de Kaufman (« On ne négocie pas avec les terroristes ! »), avatar hyperbolique (ou pas) d’un George W. Bush qui à cette époque venait tout juste d’être élu pour un second mandat. Cholo incarne quant à lui la cristallisation de la profonde désillusion des américains concernant The American Dream ; sa tristesse et sa déception lorsqu’il réalise que malgré tous ses efforts il ne pourra jamais jouer dans la cour des grands sont telles, qu’il ne s’en remettra pas et décidera d’employer les grands moyens pour parvenir à ses fins. En dépit de son pessimisme ambiant, Land Of The Dead lance néanmoins des messages d’espoir en représentant une humanité qui cherche malgré tout à s’élever grâce aux rêves qu’elle nourrit et aux ressources qu’elle est capable d’employer pour les concrétiser.

Mais abordons à présent un sujet un plus fun, les zombies ! Pour ma part, et même si cela reste plus que ponctuel, je regrette un peu l’emploi des CGI pour le maquillage des morts-vivants et les scènes gore (vous l’aurez compris depuis le temps, je ne suis pas fan des effets spéciaux numériques), mais je dois néanmoins reconnaitre que le talent de Greg Nicotero, éminent disciple du maître du trucage Tom Savini, a encore réalisé des merveilles…  Même si à mes yeux le travail de Savini sur Day Of The Dead reste LA référence en matière de films de zombie, celui de Nicotero sur Land Of The Dead reste absolument remarquable sur tous les points. Par ailleurs, le film va plutôt loin dans le gore (c’est d’ailleurs étrange qu’il n’ait écopé que d’une interdiction aux moins de 12 ans en France…) et réussit même à s’approprier les tendances actuelles de la mode pour innover dans ses mises à mort toujours plus originales et dégueulasses (miam, le piercing au nombril…). Romero se régale donc à nous en mettre plein la gueule sans complexe à grands coups de décapitations à mains nues, de démembrements, d’éviscérations et d’égorgements excessivement sanglants qui confèrent à son film cette dimension ultra-agressive pour les yeux qu’on lui connait si bien. Le sang gicle de tous les côtés, des cadavres jonchent le sol par milliers, les doigts et les dents des zombies arrachent, explorent et déchiquètent des kilos de lambeaux de chair et des kilomètres de viscères humaines sans interruption. A ce stade du film, les vivants ne sont plus qu’un tas de bidoche sanguinolente à la merci des morts-vivants, une sorte de gigantesque fast-food humain « service à volonté 24/7 ». Le design des zombies est quant à lui plus particulièrement bien réussi, certains d’entre eux comme « Big Daddy » (Eugene Clark, vraiment très impressionnant), proclamé leader des morts-vivants car exceptionnellement intelligent, sont vraiment du plus bel effet… Comme dans Day Of The Dead, l’oncle George semble s’être bien amusé à mettre en situation des zombies condamnés à répéter jusqu’à la nuit des temps des gestes qui ont conditionné leur existence passée (les zombies-musiciens ; le zombie-boucher, le zombie-clown – peut-être en clin d’œil à Day Of The Dead, justement ?) et certaines scènes ne sont pas dénuées d’un certain sens de l’humour (noir). En définitive, les maquillages constituent une très belle réussite mais, encore une fois, l’utilisation bien que parcimonieuse de CGI vite dépassés aurait largement pu être évitée à mon sens.

Ce qui est également fort intéressant dans Land Of Dead, c’est le concept d’une potentielle évolution comportementale des zombies déjà soulevé dans Day Of The Dead, ici poursuivi et poussé à son paroxysme avec un sens du détail très rigoureux. Non seulement les zombies ont appris à se méfier des « fleurs célestes » (feux d’artifice destinés à détourner leur attention), mais ils deviennent également capables de communiquer entre eux et d’accomplir certaines actions de base (comme se servir d’un fusil mitrailleur), ou encore des tâches qui avaient leur importance dans la vie qu’ils menaient avant leur contamination. Les zombies constituent donc non plus un ensemble dispersé mais une communauté soudée, unie par l’instinct d’appartenance au groupe et le désir de se placer sur un pied d’égalité par rapport aux vivants. Car c’est bel et bien de cela dont il s’agit en réalité : plus encore que dans les précédents volets de la saga, Romero estompe les frontières qui séparent les morts des vivants, jusqu’à les confondre carrément (« Ils sont nous. Nous sommes eux. » ; «Ils cherchent un endroit où aller… Tout comme nous. »). Le parallèle entre ces deux espèces à la fois si différentes et si proches est permanent, de sorte que l’on ne puisse véritablement pencher pour l’un ou l’autre des deux camps. Le sentiment d’empathie envers les zombies est ainsi quasi-inévitable, notamment lors de moments spécifiques durant lesquels Romero dénonce la cruauté intrinsèquement humaine des vivants à l’égard des morts (les zombies utilisés comme des cibles mouvantes par des tireurs chevronnés, idée que l’on trouvait déjà dans Night Of The Living Dead et que le cinéaste réutilisera ensuite dans Diary et Survival Of The Dead). Dénué de tout manichéisme simpliste et handicapant, Land Of The Dead déploie ainsi tout son potentiel de réflexion en privilégiant une certaine ambiguïté morale au piège des facilités scénaristiques.

Pour finir, il me semble amusant de préciser que l’oncle George a eu la bonne idée d’offrir une petite apparition au réalisateur Edgar Wright et à l’acteur-scénariste Simon Pegg pour les remercier de leur hommage rendu avec le film Shaun Of The Dead. Nous les retrouvons donc dans les rôles de deux zombies enchaînés, aux côtés de qui les habitants ont la possibilité de se faire prendre en photo en simulant la terreur… Idem pour le cascadeur-maquilleur Tom Savini, qui apparait sous les traits d’un zombie à grosses moustaches et en perfecto de cuir noir faisant un carnage à la machette, en référence à son rôle de biker fou dans Dawn Of The Dead. Bien que relativement brèves et pas nécessairement évidentes (surtout pour les créateurs de Shaun Of The Dead), ces scènes restent néanmoins fort agréables pour les fans de films de zombies qui y verront là une intertextualité tout ce qu’il y a de plus rafraîchissant.

Land Of The Dead peut donc à juste titre être considéré comme une réussite totale qui, si elle ne parvient pas pour autant à s’élever au niveau d’excellence des trois chefs-d’œuvre constitutifs de la saga Of The Dead (d’où la note de 4/5), parvient sans problème à pleinement atteindre ses objectifs tout en clôturant la quadrilogie en beauté. Un film incontournable à voir ou à revoir sans modération pour mesurer toute l’envergure du gigantesque talent de conteur de George A. Romero. Fan d’horreur post-apocalyptique, ce film est fait pour vous !

Day Of The Dead (George A. Romero, 1985)

Réalisateur : George A. Romero
Origine : États-Unis
Année de production : 1985
Durée : 1h42
Distributeur : United Film Distribution Company
Interdiction : Interdit aux moins de 16 ans
Interprètes : Lori Cardille, Terry Alexander, Joseph Pilato, Jarlath Conroy

Les morts-vivants se sont emparés du monde. Seul un groupe d’humains, composé de militaires et de scientifiques, survit dans un silo à missiles. Deux solutions se présentent : fuir ou tenter de contrôler les zombies…

Il aura fallu attendre 1985, soit sept ans après l’immense succès international de Dawn Of The Dead, pour que George A. Romero se décide enfin à poursuivre sa légendaire saga des morts-vivants avec Day Of The Dead, censé définitivement clore la mythologie Romerienne établie depuis 1968 grâce à Night Of The Living Dead. Nous savons bien évidemment qu’il n’en sera rien, puisque ce bon vieux George se retrouvera presque vingt ans plus tard en proie à une petite crise de nostalgie aiguë qui le poussera à se relancer corps et âme dans l’épopée zombiesque qui a forgé sa réputation avec Land Of The Dead (2004). Quoiqu’il en soit, ce troisième volet est à mon sens le plus réussi de toute la saga, le Père des morts-vivants étant parvenu à pousser le plus loin possible son concept de génie avec un réalisme tout simplement impressionnant qui a le don de nous laisser littéralement sur le carreau.

Et il faut bien avouer que les effets spéciaux et maquillage du maître incontesté du gore Tom Savini y sont pour quelque chose… C’est simple, d’un point de vue plastique, Day Of The Dead atteint un tel niveau d’excellence qu’il parvient encore à nous épater en dépit de son grand âge, ce qui n’est pas rien pour un film d’horreur voué par nature à marquer durablement l’inconscient collectif de son public. De plus, on peut constater que cette fois encore, Romero n’y va pas de main morte et se lâche même carrément sur le gore : le film s’attarde bien volontiers sur des éventrations, décapitations, énucléations, amputations et autres démembrements longuement et merveilleusement détaillés qui envahissent progressivement l’écran jusqu’à une apothéose finale qui ne manquera pas d’en choquer plus d’un… La pellicule se marque lentement mais surement d’un ton rouge sang résolument jouissif pour les fans d’horreur décomplexée que la vision de viscères gluantes ou de cerveaux plus vraiment très frais suffit à combler de joie pour la journée.

Les zombies, en plus de leur design absolument parfait (rien à redire…), forment une masse hétérogène pour laquelle Romero semble avoir laissé carte blanche à l’expression de sa créativité légèrement tordue sur les bords… Pour le coup, on aura donc l’occasion de croiser un zombie-clown pas très commode (tout simplement énorme !), une zombette-danseuse étoile en tutu (qu’elle est belle…), et j’en passe et des meilleurs pour ne pas vous gâcher le plaisir de la surprise… Néanmoins, la palme du plus beau zombie jamais crée au cinéma revient sans conteste à « Boubou » (« Bub » en anglais, interprété par le talentueux Sherman Howard), le mort-vivant « domestiqué » par le professeur Frankenstein alias Richard Liberty, complètement déchaîné dans son rôle de savant-boucher au regard illuminé. Le travail d’exploration du comportement zombiesque de Romero reste une véritable bouffée d’air frais pour les puristes du genre : en effet, c’est un plaisir sans nom que d’observer Boubou subir les réminiscences de sa vie passée au contact de banals objets du quotidien tels qu’un rasoir ou un téléphone. La scène durant laquelle ce personnage, qui pour moi restera à jamais LE zombie ultime de l’histoire du cinéma d’horreur, parvient à ressentir de nouveau des tréfonds de son inconscient l’extase toute simple d’écouter une symphonie classique figure aujourd’hui au panthéon des scènes cultes pour les amateurs de films de zombies. Il faut dire que George Romero a creusé à fond le mythe qu’il a lui-même crée en 1968, allant jusqu’à définir une psychologie voire même une sociologie « du zombie » ainsi qu’une perspective d’évolution comportementale incroyablement précise et tout à fait crédible.

Comme à son habitude, Romero couple son récit d’une réflexion philosophique sur sa propre définition de l’humanité via de longs monologues souvent enflammés de ses personnages : qu’est-ce qui nous différencie de ces morts-vivants, en somme ? Et comment réduire la distance qui nous sépare ? Le dilemme qui déchire les deux camps de la base armée, soit les militaires et les scientifiques, consiste à décider s’il faut éradiquer les morts-vivants sans sommation ou s’il existe une possibilité de leur apprendre à ne plus attaquer les vivants. Ce postulat de base demeure absolument fascinant si l’on prend en compte l’évolution colossale que Romero fait subir à cette figure anthologique du cinéma d’horreur qu’est le zombie depuis sa création : de simple cadavre ambulant mu uniquement par l’instinct de survie le plus primitif qui soit, il en fait un être capable d’apprendre de ses erreurs, de se méfier, de se souvenir de certains conditionnements de sa vie passée et même de ressentir des émotions intrinsèquement humaines telles que la tristesse, le joie ou encore la colère. Ainsi Boubou devient-il l’avatar du zombie intelligent ou en passe de le devenir, idée que le cinéaste de Pittsburgh poursuivra par la suite dans Land Of The Dead avec le personnage de leader des morts-vivants « Big Daddy ».

A l’instar de Night Of The Living Dead, Day Of The Dead est profondément marqué par la démonstration par A+B que les humains sont définitivement incapables de venir à bout de leurs différences pour collaborer et tenter de survivre tous ensemble. Alors qu’en principe « l’union fait la force », c’est en réalité « la loi du plus fort » qui tend à primer en situation de crise grave comme une invasion de zombies mangeurs de chair vivante… Ce discours à l’acide nitrique que tient Romero en toile de fond tout au long de son film confère au Jour des Morts-Vivants une dimension pamphlétaire redoutable qui comme toujours ne manque pas de nous atteindre précisément là où ça fait mal. Et s’il est vrai que les militaires sont ici présentés comme de gros porcs écervelés et violents, force est de constater que c’est l’humanité toute entière qui est ici visée par le doigt accusateur d’un Romero alors au sommet de son art et pessimiste jusqu’au bout des ongles. Pessimiste, certes, mais non dénué d’humour tout de même : on retiendra le petit clin d’œil à Stephen King par l’intermédiaire du livre Salem’s Lot (Salemen français, best-seller que Tobe Hopper adaptera au cinéma en 1979 sous le titre Les Vampires de Salem) que donne le professeur Frankenstein à son protégé Boubou pour que celui-ci se souvienne des joies saines et naturelles d’une bonne lecture fantastique.

Day Of The Dead est donc à considérer comme un authentique chef-d’œuvre dans la carrière de Romero mais aussi au regard du cinéma d’horreur dans son intégralité, une petite perle horrifique comme on en fait plus servie par une réalisation d’excellente facture à tous les niveaux. Gore, sombre, intelligent et dérangeant au possible, Day Of The Dead explose les limites de la censure et de la morale bien-pensante de son époque pour nous offrir une œuvre aussi virulente que divertissante. Incontestablement le meilleur volet de la saga Of The Dead.