La Mouche (David Cronenberg, 1986)

Titre Original : The Fly d’après l’œuvre de : George Langelaan
Réalisateur : David Cronenberg
Origine : États-Unis, Canada, Royaume-Uni
Année de production : 1986
Durée : 1h36
Distributeur : Splendor Films
Interdiction : Interdit aux moins de 12 ans
Interprètes : Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, George Chuvalo

Seth Brundle, brillant physicien qui a décidé de travailler à son compte, met au point une invention qui va révolutionner le monde : il s’agit de la téléportation, qui permet de téléporter quasi-instantanément un objet vivant ou inanimé d’un télépode à l’autre. Mais lorsqu’il décide de tester lui-même le fruit de six longues années de travail acharné, une mouche se glisse malencontreusement dans son télépode. Son ADN et celui de la mouche vont alors fusionner, et Brundle va progressivement changer d’apparence et de comportement…

Tiré de la nouvelle The Fly de George Langelaan, La Mouche de David Cronenberg (Chromosome 3, Scanners, eXistenZ) est également le remake de La Mouche Noire réalisée en 1958 par Kurt Neumann. Ce film eut un tel succès critique qu’il fait aujourd’hui partie des films cultes du cinéma fantastique, de même que l’une des meilleures œuvres de la filmographie de Cronenberg. Et pour cause, il s’agit là d’un chef-d’œuvre absolu qui est parvenu à atteindre des summums de perfection sur tous les points, sans fausse note, et qui nous conte l’histoire tragique d’un être dont l’intelligence supérieure fut la cause de sa lente déchéance…

Le scénario de La Mouche rédigé par Charles Edward Pogue et David Cronenberg lui-même, d’après l’œuvre originale de George Langelaan, est tout simplement brillant. Ingénieux, très riche et ne souffrant d’aucune longueur, il se déploie harmonieusement au rythme de la narration dont le réalisateur de Dead Zone a la totale maîtrise. De fait, l’on ne voit pas le temps passer tant l’intrigue est prenante et le sentiment identificatoire important du début à la fin du film. Les échanges de dialogues entre les deux protagonistes principaux sont impressionnants de crédibilité (peut-être parce que les deux amoureux à l’écran l’étaient aussi dans la vie à cette époque…) et parfois même vraiment drôles ; surtout les longs monologues illuminés de Seth Brundle, magistralement interprété par l’acteur Jeff Goldblum (Jurassic Park, Independence Day, Le Monde Perdu) qui nous livre ici sa meilleure performance. En effet, ce dernier semble s’être entièrement imprégné de son personnage fragile mû par un amour incommensurable pour la science et dont la candeur touchante au début du film va peu à peu se transformer en violence intérieure que sa métamorphose physique exprimera sous sa forme la plus brute.

Et c’est précisément là que La Mouche fait montre d’un talent à la hauteur de sa réputation, de par sa représentation très personnelle de la dégradation physiologique et psychologique, progressive mais inexorable, de Seth Brundle, alias « Brundle-Mouche ». L’irréversibilité de cette singulière mutation a largement de quoi susciter un sentiment d’épouvante pure dans le cœur de tout un chacun, inévitablement pris dans l’engrenage empathique qui s’élabore dès les premières minutes du film. Et Cronenberg de prendre vraisemblablement un plaisir sadique à jouer avec nos sentiments les plus primaires sans concession aucune par le biais de scènes à la portée dramatique véritablement éprouvante. Les changements de registres sont multiples et savamment dosés afin de ne créer aucune discordance : tantôt drôle, tantôt bouleversant, tantôt effrayant, La Mouche s’appuie sur tous les codes du genre sans pour autant se disperser. La scène finale, quant à elle, constitue une sorte d’apothéose à cette histoire d’une noirceur inégalable et s’apparente à un uppercut en pleine poire qui fait mal autant qu’il éblouit par le génie dont il fait preuve. Ce paradoxe est valable tout au long du film car l’on a sans cesse l’impression d’être pris entre deux feux dans la toile de nos émotions incontrôlées. Ainsi, l’on balance avec incertitude entre un sentiment sincère de pitié pour ce qui arrive au brave physicien, car on s’y est malgré tout identifié, et un instinct de rejet qui permet de se distancier de l’évolution effective de cette horreur sans nom.

Les effets spéciaux de Chris Walas, qui porta à l’écran La Mouche 2 trois années plus tard, sont absolument remarquables et comportent l’avantage de ne pas avoir vieilli en plus de vingt ans. Le processus de changement du corps humain en corps d’insecte humanoïde se fait à nos yeux tout naturellement, tant l’apparence de plus en plus monstrueuse de Seth Brundle est bien pensée et semble s’approcher de ce qui se produirait dans la réalité si une fusion d’ADN semblable avait lieu. Les cinq heures de maquillage qu’a du subir Jeff Goldblum s’avèrent au final tellement efficaces et convaincantes que certaines scènes, notamment la lente décomposition charnelle de Brundle, sont absolument répugnantes et ne manqueront pas de soulever le cœur des plus sensibles spectateurs. Ce qui prouve, encore une fois, que maquillage et animatronic valent bien mieux que les meilleurs CGI du monde.

En définitive, La Mouche est une œuvre fondamentalement désespérée qui fait appel à nos émotions viscérales les plus intimes pour considérer le destin martyr d’un homme détruit par sa soif de connaissance. Douloureux mais fascinant, La Mouche restera à jamais l’un des meilleurs films du cinéma fantastique. Un chef-d’œuvre inoubliable que je conseille à quiconque n’aurait pas encore eu l’occasion de le voir.